« Je n’aime pas recevoir quelqu’un à mon bureau, les positions dominantes en général ».
Père Yves-Marie, curé de la paroisse de Notre-Dame des foyers dans le 19e arrondissement de Paris, prend sa chaise et s’assied en face de moi, du même côté du bureau. Son regard franc dégage beaucoup d’humanité. Le Conseil Pastoral, m’annonce-t’il, a donné le feu vert : je peux commencer. Cela faisait 7 mois que j’attendais cette réponse.
Père Yves-Marie, curé de la paroisse de Notre-Dame des foyers dans le 19e arrondissement de Paris, prend sa chaise et s’assied en face de moi, du même côté du bureau. Son regard franc dégage beaucoup d’humanité. Le Conseil Pastoral, m’annonce-t’il, a donné le feu vert : je peux commencer. Cela faisait 7 mois que j’attendais cette réponse.


Dès que je peux, je fréquente la paroisse, avec mon boîtier son 50mm et mon enregistreur numérique. Je suis plutôt bien accueilli par les paroissiens que je croise dès les premières messes auxquelles j’assiste pour observer et pour m'immerger dans l’ambiance des lieux. Des semaines, des mois passent : l’enthousiasme initial de la découverte retombe peu à peu. Je subis l’ambiance austère de l’église, je ne vois rien d’autre que les visages impassibles des paroissiens pendant la messe, leurs poignées de main fugaces avant de rentrer chez eux, les petits groupes réunis dans des salles spartiates faiblement éclairées par la lumière blafarde des néons, au sous-sol de l’église. A la recherche d’images fortes et esthétiques censées évoquer une certaine tension spirituelle, je m'enlise dans la platitude de la liturgie. Mes photos, plutôt correctes formellement, ne transmettent rien : pas étonnant, car je ne ressens rien.


En dehors des cérémonies, je passe la plupart de mon temps à errer dans l’église et les couloirs semi-déserts de la paroisse, en quête d’images empreintes de mystère. J’ai du mal à aller vers les fidèles, au-delà des échanges rapides et des sourires. Je me sens seul et perdu, flottant comme un corps étranger au milieu de personnes qui me semblent trop éloignées de ma manière de voir le monde. A plusieurs reprises, je plaque tout ; puis à chaque fois, je finis par reprendre. Frustré, découragé, je doute en permanence. Où se cache leur foi? Où est la communauté, en quoi consiste-t’elle ? J’ai la sensation de me heurter à un mur.


Les préparatifs de la veille de Pâques me redonnent de l’espoir : je ressens la ferveur des fidèles et l’importance pour eux de ce moment crucial. Je vais enfin avoir l’occasion de prendre de images intenses et belles : les fidèles enveloppés dans l’obscurité et dans le silence irréel de l’attente, le visage à peine éclairé par les cierges auxquels s'accrochent leurs mains…
Quelques jours après la cérémonie tant attendue, je développe mes films. Des deux exposés ce soir-là, je ne ressors que 13 double-expositions. La tension et la peur de rater m’ont joué un mauvais tour : j’ai exposé deux fois le même film ! L’échec est cuisant, j’attends un mois avant de regarder les images. Pourtant, à ma grande surprise, les photos rescapées sont surprenantes, presque mystiques ! Dois-je y voir un signe ?
Quelques jours après la cérémonie tant attendue, je développe mes films. Des deux exposés ce soir-là, je ne ressors que 13 double-expositions. La tension et la peur de rater m’ont joué un mauvais tour : j’ai exposé deux fois le même film ! L’échec est cuisant, j’attends un mois avant de regarder les images. Pourtant, à ma grande surprise, les photos rescapées sont surprenantes, presque mystiques ! Dois-je y voir un signe ?

Le parallèle est troublant. J’avance péniblement dans ce projet, frustré et désorienté par la répétition, par le manque d’intensité de mystère et d’esthétique, par l’absence de signes extérieurs de la foi. De la même manière, les fidèles que j'ai rencontrés - à commencer par le curé Yves-Marie - ne cessent de chercher Dieu dans les creux de la vague ; frustrés par la sécheresse spirituelle, ils se sentent souvent seuls face à l’absence de signes de la présence de Dieu dans leur quotidien.

Le mur que je ressentais existe, mais il est en moi. Je me heurte à l’inconsistance non seulement de ma démarche, mais aussi de ma propre quête, prisonnière de ma rigidité et de mon auto-référence.
J’apprends à faire le deuil de l’esthétisme avant tout : peu importe si mes images ne sont pas belles, ce que je veux, c’est transmettre ce que je vis, cette errance, ma quête et celle des fidèles.
Enfin, je lâche prise : je cesse de juger et de m’imposer une direction. La foi des paroissiens que je recherchais dans mes images, j’ai fini par la trouver. Invisible : la foi ne se voit pas, elle est intérieure.
J’apprends à faire le deuil de l’esthétisme avant tout : peu importe si mes images ne sont pas belles, ce que je veux, c’est transmettre ce que je vis, cette errance, ma quête et celle des fidèles.
Enfin, je lâche prise : je cesse de juger et de m’imposer une direction. La foi des paroissiens que je recherchais dans mes images, j’ai fini par la trouver. Invisible : la foi ne se voit pas, elle est intérieure.


Grisé par ce nouvel élan, j’admire maintenant l’engagement des fidèles dans la vie de la paroisse, la solidarité entre eux, le fait qu’ils arrivent à surmonter leurs différences pour vivre en communauté. Tout ceci alimente leur foi et, en même temps, en est le reflet. Plus le temps passe, plus je me sens à l’aise avec eux. Cette bienveillance qui me paraissait un peu niaise au début, maintenant je me surprends à la partager.